On connaît généralement Moorcock via ses séries d'heroic fantasy, Elric en tête. Mais le champion éternel a aussi une incarnation contemporaine, qui répond au nom de Jerry Cornelius.
Autant vous prévenir tout de suite, les quatre romans qui composent ce cycle sont pour le moins... spéciaux... déroutants. Une narration éclatée, chaque chapitre apparaissant presque comme une histoire autonome sans rapport avec le reste (si ce n'est la galerie de personnages et l'univers déliquescent), il faut parfois s'accrocher pour suivre, d'autant que les clés ne sont donnés que dans l'ultime volume, Vous aimez la muzak ?.
Amoureux de sa soeur, également responsable de sa mort au cours d'un affrontement avec son frère (toute similitude avec Elric est volontaire), Jerry n'aura de cesse de faire revivre cet amour. Version psychédélique de la quête qui mena Dante au Paradis à la poursuite de Béatrice ? Peut-être... Entre autres choses.
Sa vocation ? Refaire le monde "grâce à l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles", nous dit l'écrivain. Une citation de Dante, justement...
Protéiforme, Jerry ? Effectivement, d'un roman à l'autre, il passe d'un personnage pâle aux cheveux de jais à un noir aux cheveux blancs. D'un vivant à un mort. De JC à Arlequin et Pierrot cherchant sa Colombine.
Dans un monde en proie au chaos, à la guerre, au cynisme, il cherche à se libérer de ses chaînes. Prométhée ?
Moorcock ne fumait certes pas que des substances légales, quand en 1965 il écrivait Le programme final, première pierre de la saga. Cela se ressent à la fois dans le décousu de l'intrigue (justifié après coup, les deux romans centraux ayant été écrits sans bien savoir où il allait), dans l'alternance de passages assez médiocres et d'autres au contraire en état de grâce.
Au final, une oeuvre inclassable, indéfinissable... Une expérience... A la fois fortement datée, marquée dans sa chair du sceau des annés 60/70, et pourtant toujours moderne.